Dans la vie, il n’y a jamais rien d’acquis, chose que les citoyens des démocraties occidentales vont probablement devoir redécouvrir dans les temps à venir (et la douleur), plus particulièrement dans le domaine de la liberté d’expression, voire de la liberté tout court. Peu ont eu à se battre au péril de leur vie pour l’acquérir ou la préserver.
 Et l’on ne sait pas exactement qui est prêt à sacrifier quoi dans ce but.
Je n’aimerais pas devoir me sacrifier pour rattraper les inconséquences de la sordide classe politique européenne actuelle.
Là gît néanmoins tout le paradoxe et le mystère : la patrie est une chose terrestre, fragile, finie, qui nécessite parfois un sacrifice absolu, selon l’idée de Simone Weil.
L’épouse du vizir Erdoğan, ardente pratiquante de l’autocensure capillaire, déclara il y a quelques semaines de cela que les harems furent d’excellentes écoles préparant les femmes à la vie.

Et c’est avec son mari que Bruxelles discute le plus sérieusement du monde de l’entrée de la Turquie dans l’Europe, dans le cadre de péripatéticiens marchandages autour des « migrants ».
Le sultan semble s’être mis en tête de régir d’ores et déjà les modalités de l’expression humoristique européenne, décrétant haut et fort frontières du haram et du halal, et ce, avant même l’entrée de son lopin dans une Europe dont l’exécrable mollesse semble, elle, ne plus avoir de frontières.
Un certain humoriste allemand, Jan Böhmermann, avait ouvert le bal, mais il n’est pas en reste : les Pays-Bas et la Suisse ont commencé également à goûter au bâton halal du vizir.

Il y a le cas de cette chroniqueuse turco-néerlandaise, Ebru Umar, brièvement arrêtée à Kuşadası en Turquie pour « insultes » au chef des Ottomans et, aux dernières nouvelles, interdite de sortie du territoire.
Détail intéressant – mais faut-il s’en étonner ? -, la communauté turque des Pays-Bas semble soutenir massivement Erdoğan dans ce bras de fer (contre le bras de terre).
 Par ailleurs, des individus ont pénétré par effraction dans le lieu où réside Ebru Umar à Amsterdam, et sur les murs, l’on peut lire désormais « Pute ».
Il semblerait également que les autorités turques aient discrètement encouragé les Turcs des Pays-Bas à leur signaler tout « manquement » à l’égard d’Erdoğan.
Cela a été démenti par les autorités turques en des termes aussi savoureux que grotesques : « Il s’agit d’un malentendu, cela ne s’adressait pas aux citoyens turco-néerlandais, mais à des organisations. »
 Entre-temps, l’ambassadeur néerlandais à Ankara avait reçu rappel à l’ordre concernant les médias sociaux aux Pays-Bas, Facebook et Twitter, après que toutes sortes de moqueries et caricatures d’Erdoğan y ont fleuri.
L’ambassadeur Van Rij a rétorqué que cela se situait dans le cadre légal de la liberté d’expression aux Pays-Bas.

Mais le chef ottoman ne s’est pas arrêté là : c’est désormais le tour de nos amis suisses.
Dans le cadre d’une exposition photo place des Nations à Genève, un artiste avait installé une photo où l’on pouvait lire notamment : « Je m’appelle Berkin Elvan, la police m’a tué sur l’ordre du Premier ministre turc. »
Le photographe en question, le Genevois d’origine kurde et arménienne Demir Sönmez, y expose en effet 58 photos jusqu’à dimanche.
 La photo incriminée avait été prise lors d’une manifestation en mars 2014 à Genève, et montrait une banderole avec la victime et le petit texte incriminant le Premier ministre.

 Les autorités turques ont exigé le retrait de la photo incriminée : les Genevois ne se sont pas laissés démonter.

Dernière minute (27 avril, 9 h 00) : selon De Telegraaf, la ville de Mayence a reçu des centaines de dépôts de plainte contre le comique allemand Jan Böhmermann qui s’en était pris à Erdoğan.

 L’Oumma ottomane germanique en marche.

 La Turquie ne fait pas encore partie de l’Europe, et le moins qu’on puisse dire est : pourvu que ça dure.